A l’âge du feu dominaient les énergies dont usait l’homo faber prométhéen pour construire le monde matériel ici-bas, sur la Terre. A l’âge du numérique, dans cette société de l’information que nous célébrons désormais, c’est le code binaire nous permet de développer de nouvelles métaphores, et de créer une nouvelle image du monde. Nous sommes passés d’une étape matérielle, celle de l’énergie constructrice de notre habitat à une étape psychique de notre évolution, celle de l’agglutinement humain.
Les hommes communiaient jadis dans une vision animiste de l’univers dont ils partageaient l’élan. Ils célébraient collectivement cet esprit selon des rites sociaux, des initiations, des sacrifices et des danses qui renforçaient les liens organiques de leurs sociétés. Ce mode de socialisation a évolué avec l’apparition des monothéismes, des communautés religieuses, des Eglises, des offices, de la prière, du rite de la communion et de la célébration collective d’un même ailleurs transcendantal, dont Durkheim a fait le nouveau mode de solidarité sociale « organique ».
Aujourd’hui, l’athéisme et la jouissance de la société de consommation semblent avoir amoindri cette solidarité fondamentale de nos sociétés au profit d’un culte nouveau de l’individualisme et de l’égoïsme matérialiste. Chacun se souciant avant tout de son bonheur personnel et basant sa réussite sur une accumulation de biens matériels, la base familiale elle-même de la solidarité sociale semble avoir éclaté. Nous avons progressivement institué le règne de la machine-outil, l’anarchisme, le chacun pour soi, et le bonheur matériel. Durkheim s’inquiétait de l’émergence de ces solidarités sociales minimales qu’il appelait « mécaniques », qu’il jugeait anxiogènes et dont il soulignait l’anomie, propice à une augmentation des taux de suicides.
Mais le besoin fondamental d’indivision des communautés humaines, le désir sécurisant d’appartenance au groupe a survécu sous les apparences d’atomisation de nos sociétés. La technologie elle-même a évolué : la machine cybernétique, qui traite des ensembles de données et gère des informations liées a pris le relais de la machine mécanique. Nous assistons donc aujourd’hui au retour d’un désir d’intégration sociale, notamment dans les nouvelles générations. On ne saurait expliquer autrement le succès des nouveaux médias sociaux et ce qui se présente comme une dépendance aux liens numériques. Ainsi Facebook, notre nouvelle Eglise mondiale va-elle compter bientôt un milliards de paroissiens. Et beaucoup d’entre nous communient quotidiennement sur Twitter. Le matérialisme nous a désaliénés et individualisés. Plus que nous n’étions capables de le supporter. Nous éprouvons aujourd’hui un besoin compensatoire de rétablir l’indivision psychique du corps social auquel nous appartenons, comme des bancs de poissons, comme des nuages d’étourneaux qui évoluent dynamiquement dans l’espace comme un seul être. Cette unité psychique de l’humanité, c’est la réactivation incessante nourricière et apaisante de chaque nouveau-né au corps maternel. Le numérique fait fonction de cordon ombilical. Le psychique s’est réimposé dans notre conscience humaine comme une dimension existentielle irréductible.
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