Serons-nous capables de diverger ingénument pour le progrès humain? Nous ne pouvons pas persévérer dans la crise postmoderne et le désenchantement cynique ou nihiliste qu’elle a provoquée, comme si c’était une base permanente. Nous ne pouvons pas nous abandonner à l’agitation brownienne de l’humanité. Le temps n’est plus de cultiver le fatalisme comme dans la tragédie grecque ou dans l’Islam. La vie n’est pas non plus un jeu vidéo où tout serait permis et tout serait indifférent. On ne peut pas recommencer plusieurs fois la partie pour s’amuser. Nous ne jouons qu’une fois et il faut gagner.
Le temps n’est plus de jouer au magicien, ni de se prendre pour des chamans, ni d’épater le public avec des jeux de cartes truqués, ou même avec un ordinateur. Il faut en finir avec les illusions et avec l’illusionnisme, qu’il soit archaïque ou numérique. A quoi cela servirait-il de repérer et d’élucider les grands mythes du numérisme, d’en décrire la puissance magique, encore plus grande que celle des anciens chamans, à quoi cela servirait-il, si la mythanalyse n’avait qu’un but théorique de démystification ? La mythanalyse est aussi une pratique dénonciatrice, qui exige l’engagement éthique et l’action.
Elle nous dit qu’il faut en finir avec le seul culte de l’argent et du divertissement. Et qu’il faut maîtriser la puissance du numérique. La situation de l’humanité est trop grave pour que nous continuions à nous étourdir dans les futilités et à fermer les yeux face au scandale permanent de l’extrême misère humaine de milliards d’entre nous sur la Terre. La vitesse du progrès technologique nous oblige à relever d’immenses défis. Nous savons que le sens de la vie ne nous est pas donné d’avance, mais que c’est à nous de le construire. Confrontés à des problématiques inédites, nous sommes contraints de construire un nouveau sens et décider d’une nouvelle orientation qui puissent nous permettre de poursuivre notre évolution. Tout est encore possible, le meilleur comme le pire.
Mais le temps n’est plus de sauver son âme, chacun pour soi, comme au temps des religions individualistes. Notre destin est redevenu collectif, comme dans les sociétés que nous avons appelées « primitives ». Il nous faut assumer collectivement nos responsabilités humaines. C’est ce que j’appelle l’hyperhumanisme, qui est une conscience augmentée des liens qui unissent les hommes. Nous savons désormais que nous sommes tous dans le même avion, qu’il n’y a pas de pilote venu du ciel ou de l’enfer, et que le temps presse. Il nous faut donc apprendre rapidement à piloter nous-mêmes. Encore faut-il que nous sachions où nous voulons aller et donc que nous donnions nous-mêmes un sens à notre aventure collective, que nous choisissions ensemble une direction et des valeurs que nous puissions partager.
Les enjeux ne sont plus seulement épistémologiques ou sociologiques, mythanalytiques ou esthétiques. Ils sont éthiques. L’objectif prioritaire de notre évolution n’est désormais plus la puissance de la technoscience, qui progressera à coup sûr. C’est un objectif beaucoup plus difficile, qui est humain : la nécessité d’une éthique planétaire. Je n’évoque ainsi, bien entendu que les droits élémentaires de chaque être humain à boire de l’eau potable, à manger à sa faim, à disposer d’un toit et d’une sécurité physique minimale, à recevoir des soins médicaux et une éducation de base. Je ne parle que de ces droits de l’homme si souvent déclarés et constamment bafoués. Cette éthique planétaire est la seule valeur, la seule vérité qui soit universelle et que nous puissions réaffirmer face au relativisme généralisé de notre temps. La divergence du futur que nous devons assumer n’est pas dans la conception et la rédaction de cette éthique planétaire, déjà connue ; elle est dans la volonté partagée de la faire prévaloir. Voilà le grand défi qui nous parait encore impossible, au point de susciter l’ironie et la risée de la majorité des gens. Mais il est possible d’y parvenir. Par étapes sans doute. Mais avec persévérance. A coup sûr pas par magie, mais avec l’aide sans doute des technologies numériques, qui contribuent à augmenter nos liens humains, notre conscience du sort de tous et du scandale généralisé des violences, des exploitations humaines, des injustices cyniques, de la misère intolérable qui sévissent dans tant d’endroits divers de la Terre. Nous ne pouvons plus dire que nous ne le savions pas. Il faut y mettre fin. Notre espèce s’est constituée à la suite de nombreuses mutations de notre cerveau. L’éthique planétaire est devenue notre plus grand défi humain, le plus difficile que nous ayons jamais eu à relever, mais le plus important, le plus déterminant de notre avenir. Descendre des arbres et marcher en posture verticale, ou mettre le pied sur la Lune n’est rien en comparaison du défi de l’éthique planétaire.
Certes, on nous objectera que c’est une vue de l’esprit, presque une attitude de désadaptation aux pressions économiques et à la realpolitik. Pourtant, ce défi s’impose à nous non seulement pour des raisons morales, mais aussi pour des raisons de survie, qui sont d’ordre biologique. L’éthique planétaire nous viendra par nécessité, comme notre queue de primate nous a quitté par inutilité. C’est pour cela que je crois à cette mutation de notre cerveau et à l’émergence de l’hyperhumanisme. Si non, je garderais des doutes insurmontables sur notre avenir.
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