Pour prendre vraiment conscience de la puissance
radicale des divergences que nous créerons, nous devrions sans doute même
parler des mutations du futur, dont nous n’avons pas encore la moindre idée.
Pas encore pensables ? Mais possibles. Une immense divergence s’esquisse
déjà sous nos yeux depuis deux mille ans au moins, dont nous n’avons pas encore
saisi la nouveauté et encore moins l’importance. Je veux parler de la
divergence éthique. La nature darwinienne est étrangère à toute exigence
éthique. Elle est régie par la loi du plus fort, du mieux adapté. Pas de
compassion pour les faibles, pas de sentiment de justice, pas de retenue face à
la violence. C’est l’espèce humaine qui a inventé cette conscience éthique
contre nature. Nous devons à cet égard beaucoup au christianisme. C’est
assurément la religion qui a le plus contribué à la formulation de cette
éthique au nom de l’amour du prochain et de la charité. Mais aujourd’hui dans
une société athée, nous ne pratiquons plus cette éthique pour assurer notre
salut personnel. Nous sommes à la deuxième étape du développement de cette
conscience éthique : elle n’est plus seulement individuelle, elle est
devenue sociale, collective, planétaire même. Elle repose sur le respect des
droits humains élémentaires de tous également, quelles que soient les
diversités des cultures. Elle nous incite à militer contre toutes les violences,
les exploitations humaines, à secourir les victimes, à devenir pacifistes. Nous
n’en sommes encore qu’aux premiers pas, mais nous sommes de plus en plus
nombreux à en ressentir l’exigence. Ne dit-on pas que certains ont la bosse des
mathématiques, évoquant ainsi par métaphore une augmentation de leur volume
cérébral traitant de pensée mathématiques? Il nous reste à espérer que ce qui
vaut pour les mathématiques vaille aussi pour l’éthique. Une éthique planétaire : la
plus immense, la plus nécessaire, mais aussi la plus difficile de toutes les
divergences du futur pensables aujourd’hui.
La divergence n’est pas nécessairement un bien en soi.
Nous en avons connu de bonnes et des mauvaises. Et ces jugements sont toujours
relatifs. Ainsi, l’impressionnisme n’est pas un progrès par rapport au
classicisme, mais un changement. Le passage de l’âge du feu à l’âge du
numérique demeure ambivalent, en ce sens que le progrès qu’il nous fait espérer
dépendra en réalité de l’usage humain que nous ferons de sa puissance. Seule la
divergence éthique est un progrès incontestable, que personne ne peut
raisonnablement nier. Les modalités d’application de l’éthique peuvent varier
selon les diversités historiques et culturelles, mais le principe de l’éthique
planétaire est un absolu, le seul absolu auquel les hommes peuvent prétendre.
Le gouvernail et la quille de l’esquif « humanité ».
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